Cultures du pastel, de la gaude, et de la garance,
A l'usage des Cultivateurs & des Manufactures.
Par M. Le Pileur D'Apligny.
A Amsterdam, Et se trouve à Paris,
Chez Moutard, Libraire de la Reine, Quai des Augustins.
M. DCC. LXXVI.
1776.La Gaude ou Vaude, Luteola herba, Salicis folio, est une plante annuelle dont la racine ne pique pas profondément: elle pousse des feuilles longues, étroites, d'un verd gai, couchées sur terre & disposées en rond. La tige qui s'éleve d'entre elles, pousse à trois & quatre pieds: elle est souvent branchue, garnie de feuilles étroites comme celles d'en-bas, & moins longues à proportion qu'elles approchent des fleurs qui sont disposées en épi long, & composées chacune de trois petites pétales irrégulieres, d'un jaune verdâtre. Ces fleurs sont suivies d'un fruit de même couleur, arrondi, terminé par trois pointes, & renfermant des semences menues, brunes & presque rondes. Toute la plante, & particulierement la graine, sert à la Teinture jaune. La Gaude la plus menue & un peu roussette est la meilleure; on estime beaucoup moins celle qui est plus grande & d'un verd terne. Cette plante croît naturellement dans toutes les Provinces de France, & principalement à cinq ou six lieues de Paris, vers Pontoise.
La Gaude cultivée est bien préférable à celle qui croît d'elle-même qu'on appelle Reseda. C'est un objet considérable d'exportation en Hollande, indépendamment de la consommation qui s'en fait dans le Royaume. M. d'Ambourney a donné à la Société d'Agriculture de Rouen le détail suivant de la maniere dont on la cultive à Oissel, en Normandie.)
Au mois de Juillet, lorsque les féves blanches ou haricots sont en fleurs, on leur donne le second binage, on les rechausse, & par un tems humide, on y seme de la graine de Gaude le plus également qu'il est possible, à raison d'une demi-quarte du boisseau de Rouen (qui contient douze pots) par vergée, qui fait environ le tiers d'un arpent. Les Cultiva teurs attentifs traînent ensuite, entre les rangs de féves, un petit faisceau d'épines pour suppléer à la herse, & enterrer la graine: tandis qu'elle leve, les féves mûrissent, & on les recueille. La terre reste plantée en Gaude, qu'il faut houetter & serfouir vers la saint Michel, & laisser ainsi passer l'hiver. Au mois de Mars suivant, quand les gelées ne paroissent plus à craindre, s'il reparoît de l'herbe, il faut houetter de nouveau. Vers la fin de Juin de la seconde année, quand la fleur de la Gaude est passée, que la graine se forme, & qu'on voit jaunir la plante on profite d'un lendemain de pluie pour l'arracher: quatre hommes, en ce cas, en arracheront une vergée par jour. Si au contraire le tems est sec & la terre dure, deux jours leur suffiront à peine; on l'emporte en grosses bottes, il faut les délier aussi-tôt qu'elles sont à la maison & ranger les plantes debout, le long des murs ou des haies, bien exposées au soleil, qui, en deux jours, acheve de les sécher. Alors sur un drap étendu, pour ne pas perdre la graine qui peut tomber, d'autant plus aisément que la capsule est fendue, on fait de fortes poignées du poids de treize livres, on les entasse au renier, où elles acquierent leur matu rité & se réduisent ordinairement au poids de douze livres & demie. Chacune de ces petites bottes se vendoit, il y a vingt ans, cinquante sols & un écu; présentement elles ne valent que dix à douze sols.
Une vergée de bonne terre, où la Gaude a bien pris, en produit ordinairement soixante bottes de treize livres; mais elle est sujette à être grasse & branchue. Celle qui croît dans les sables est référable: elle ne fournit qu'un maître brin, mais à peine y en recolte-t-on trente-cinq à quarante bottes par vergée.
Aussi-tôt que la Gaude est arrachée, on fait passer les moutons sur la piece de terre pour manger l'herbe; on lui donne alors un labour, & un à la fin d'Octobre, & l'on y seme du bled ou du grand seigle, sans aucun autre compôt ni fumier. Si la terre est légere & qu'on la destine à faire des Mars, on peut sur le labour, après la Gaude, y semer des navets, qu'on a le tems de recueillir avant de labourer pour faire l'orge & le petit seigle, qu'il conviendra d'aider par un peu de rapure de cornes.
Lorsque l'on veut faire de la Gaude, après les pois, on laboure, & on la seme, toujours à raison de demi-quarte par vergée; mais ainsi que celle § navets, cette graine doit être jettée par pincées entre le pouce & le doigt du milieu: l'index reste droit & sert à éparpiller la graine qui s'échappe des deux autres. Il ne faut entreprendre que trois raies à la fois, & lorsque toute la piece est ainsi semée, il faut revenir par le côté opposé, ce qui s'appelle semer à deux jets. On herse ensuite, & l'on cultive à la Saint Michel & au mois de Mars, comme ci dessus.
Celle qu'on a semée après les pois ne décompote point la terre; & de même u'après les féves, on peut, au mois d'Octobre, y semer du bled sans fumer.
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