24.3.17

Cultures du pastel, de la gaude, et de la garance. Culture de la Garance.

Cultures du pastel, de la gaude, et de la garance,
A l'usage des Cultivateurs & des Manufactures.
Par M. Le Pileur D'Apligny.
A Amsterdam, Et se trouve à Paris,
Chez Moutard, Libraire de la Reine, Quai des Augustins.
M. DCC. LXXVI.
1776.
On a vu paroître, depuis environ vingt ans, plusieurs Traités sur la culture de la Garance. M. du Hamel, de l'Académie des, Sciences, a donné à ce sujet, dans ses Élemens d'Agriculture, une Dissertation très-instructive, qui a été imprimée séparément. Le Journal de Berne, de 1765, contient un Mémoire de M. Tschifelli, qui expose la méthode qu'il a suivie avec succès, pour cultiver cette plante dans ses terres. Il est traité assez amplement de sa qualité, de sa culture, & de ses préparations dans le Dictionnaire de l'Encyclopédie. Nous avons aussi un petit Traité, de M. Lesbros, sur la même matiere, assez conforme à la Dissertation de M. du Hamel avec quelques additions. Nous avons en outre les plus grandes obligations en particulier aux recherches & aux découvertes de M. d'Ambournay, contenues dans les Mé moires qu'il a donnés sur cette culture à la Société d'Agriculture de Rouen.

Quoique ces différentes instructions m'aient servi de guide pour celles que je publie aujourd'hui, je ne pense pas qu'on puisse me blâmer, si j'écris encore sur la même matiese, & si, en mettant leurs différentes méthodes en opposition, j'adopte ou je rejette à mon gré les regles de culture que les uns & les autres ont proposées. La diversité & même la contrariété de leurs méthodes suffisent pour faire comprendre que les unes peuvent être préférables aux autres. Je les rapporte presque toutes, & je ne prends la iberté de dire mon sentiment qu'en apportant des raisons de préférence, & sans prétendre y astreindre le Lecteur, ni l'empêcher d'essayer ou de suivre la méthode qui lui plaira le plus.

Entre toutes les especes de Garances dont on pourroit employer les racines pour la Teinture, les deux especes qu'on cultive ordinairement sont, celle qui croît naturellement dans tous les Pays de l'Europe, & qu'on cultive en particulier dans la Flandre & dans la Zélande, connue des Botanistes sous le nom de Rubia tinctorum sativa. La seconde espece se cultive dans tout le Levant, & paroît être la même que celle qui est nommée Rubia sylvestris Mons-pessulana major. On pourroit soupçonner que celle-ci n'est qu'une variété de la précédente; elle n'en différe en effet, que par un port plus foible, parce qu'elle est plus délicate, & que ses feuilles sont plus lisses: mais ces différences peuvent venir uniquement du sol, du climat & de la culture. Je vais commencer par la description de la Garance commune & indigene.

Cette plante pousse des tiges longues sarmenteuses, quarrées, noueuses, rudes au toucher, qui se soutiennent fort droites. Ces tiges poussent à l'endroit de leurs noeuds, cinq à six feuilles d'un verd obscur, étroites & longuettes, qui l'environnent en forme d'étoile, hérissées de poils, & garnies à l'entour de petites dents qui s'attachent fortement aux habits. Les fleurs naissent au sommet des branches, & ont la forme de petits godets partagés en cinq ou six parties, disposées en forme d'étoile, d'un jaune verdâtre. Il succéde à cette fleur un fruit composé de deux baies, assez semblables à deux grains de géniévre, attachées en semble & remplies de suc: elles sont d'a bord vertes, puis rouges, & enfin noires quand elles sont mûres. Chacune de ces baies renferme une semence presque ron de, enveloppée d'une pellicule. Les racines sont nombreuses, longues, ram pantes, divisées en plusieurs branches, un peu plus grosses, pour l'ordinaire, que le tuyau d'une plume à écrire: elles ont rouges, ligneuses, & d'un goût as tringent.


De la qualité du Sol qui convient à la Garance.

On voit tous les jours des plantes d'un même genre & d'une même espece, produire des fruits d'une qualité & d'une saveur différente, suivant la diversité des terreins où on les cultive: il en est de A A même de la Garance, dont la même espece ne produit pas des racines de même qualité dans tous les terreins & dans tous les pays. Il est donc nécessaire de faire choix d'un terrein dont la nature soit propre à sa culture.

La terre, en général, est un composé d'une infinité de grains de sable, dont l'espece varie: les uns sont d'une espece séche & stérile, tel que celui de la mer & des rivieres; les autres sont quelquefois stériles, ou plus ou moins fertiles, ce qui forme les terres bonnes, médiocres ou mauvaises. Leur qualité de dou ces & de meubles, leur viscosité & leur onctuosité constituent la différence des terres fortes, crétaceuses, &c.

Les sables fertiles contiennent des sels qui se dissolvent dans l'eau dont la ter1e est imbibée, & servent ainsi à la production des plantes. Mais tous les terreins ne sont pas propres aux mêmes produc tions, & l'on voit tous les jours que les uns ont beaucoup d'aptitude à la production d'une plante, tandis que d'autres s'y refusent.

Quoique la facilité avec laquelle la Garance croît dans différens endroits por te à croire que sa culture seroit pratiquable dans toutes sortes de terreins, cependant lorsqu'on fait attention que la Garance sauvage se plaît davantage & prospére plus sur les bords de la riviere, & dans les fossés qui bordent les pieces de terre, il paroît qu'on doit préférer les terres délayées, & qui ont une profondeur suffisante sur un fond de glaise, afin ue la racine, qui est la partie précieuse de la plante, puisse plus aisément s'éten dre & s'engraisser. On doit, pour cette raison, choisir une terre substantielle, à la vérité; mais légere, non compacte & détrempée. La plus convenable seroit une terre médiocrement marécageuse, telle que celle qui convient au chanvre: une terre de cette nature n'est ni trop compacte ni trop grasse. On doit éviter surtout les terres pierreuses, parce qu'elles nuisent à l'extension des racines: si cependant ces terres avoient une profondeur suffisante au-dessus des pierres, elles conviendroient assez, parce que les pierres du fond empêcheroient les racines de pivoter.


De la situation du Terrein.

Il faut choisir une position basse & humide, parce que les terreins secs & arides ne conviennent pas à la Garance; mais quoiqu'un terrein humide soit à préférer, une trop grande humidité seroit néanmoins préjudiciable à cette plante. C'est pourquoi il est bon d'avertir qu'il faut éviter de choisir un terrein qui, par sa situation, seroit exposé aux inondations d'une riviere. Si l'on ne pouvoit faire autrement, pour prévenir le tort que pourroit faire un pareil accident, ou même dans d'autres cas, le trop long séjour des eaux pluviales, il sera à propos de former des canaux d'espace en espace dans la garanciere, & d'en creuser, tout autour, qui serviront encore à la préserver du ravage des bestiaux. On pourra de plus, afin que les eaux ne séjournent pas trop long-tems sur les racines, pratiquer la méthode de tenir les plates-bandes un peu plus basses que les planches dans lesquelles on plante la Garance: cette méthode est très favorable aux jeunes plantes, au moyen de ce que, pendant le cours de la cultute, les plates-bandes s'abaissent en raison de l'élévation que le terrein acquiert par la pousse de la plante.


De la préparation du Terrein.

Quant à la préparation de la terre, il faut distinguer entre celle qui a déjà été cultivée, & celle qu'on veut défricher: celle-ci exige, l'année précédente, quelques labours, qui doivent être donnés le plus profondément que faire se peut, afin de rendre la terre meuble. Il est à propos, pour cet effet, de la retourner avant l'hiver, pour casser les mottes & afin que la gelée puisse l'atténuer: après l'hiver, on lui donne un autre labour pour la disposer à la plantation. A l'égard des terres déjà cultivées, il suffit de les labourer plus soigneusement & plus profondément que si l'on vouloit y semer du grain, & d'y faire passer la herse avant de semer.

La préparation consiste encore à donner un engrais suffisant: car toutes les terres, quelques bonnes qu'elles soient, se fatiguent par la production, au bout d'un certain tems, parce que la quantité de sels qu'elles contenoient, & qui entretenoient leur fertilité, se consume peu à peu. Cela arrive sur-tout à celles qui ne produisent que contre nature, & par artifice, à force de labours. Lors donc que les terres sont fatiguées, on les remet en valeur par le repos, au moyen duquel, & par le secours des pluies & de la rosée, elles reprennent leur vigueur. On leur en fournit encore en y répandant du fumier, dont les sels détrempés par la pluie, s'insinuent dans la terre, & remplacent ceux qui ont été consommés par la végétation. C'est pour cela qu'il est à propos d'y répandre ce fumier & de le mêler avec la terre, cinq ou six mois avant de planter, parce qu'elle se charge alors de tous les principes du fumier, & se les approprie.

Les vieux fumiers, sur-tout ceux du gros bétail, ainsi que les cendres lexivielles, sont favorables à la culture de la Garance, parce qu'il est utile de donner de la vigueur à la terre. Il faut néanmoins prendre garde de nuire aux jeunes plants ou aux semences par excès de chaleur: on doit préférer, pour cette culture, le fumier de vache, parce qu'il est plus frais, & sur-tout le bien mélanger par les labours.


De la disposition du Terrein.

Il y a différentes manieres de disposer & de partager le terrein pour la plantation. La différence consiste principalement à donner une largeur plus ou moins grande aux quarrés ou planches du terrein destinées à la plantation, ainsi gu'aux sentiers ou plates-bandes qu'il faut pratiquer entre lesdites planches. Dans tous les pays, les Garancieres représentent une suite de planches cultivées & de plates-bandes vuides, disposées alternativement.

Dans la Zélande, les planches sont de douze à quatorze pouces de largeur, & de dix-huit en y comprenant la platebande d'intervale entre chaque planche, ou d'une planche à l'autre.

En Flandres, la plantation se fait dans des quarrés de la largeur de dix à douze pieds, & chaque plante est distante d'un pied l'une de l'autre, les plates-bandes sont larges d'environ deux pieds.

M. Duhamel conseille de donner aux planches la largeur de deux pieds, & trois ignes d'intervalle entre chaque plan, laissant les plates-bandes de quatre pieds.

M. Tschifelli a suivi différentes méthodes, celle entre-autres de planter sur des lignes, dont la premiere est distante de dix pouces de la seconde, qu'on éloigne de vingt pouces de la troisiéme; on ne met que dix pouces entre la troisiéme & la quatriéme; & ainsi alternativement, tantôt dix, tantôt vingt pouces d'in tervalle.

M. Dupuy propose de planter le premier rang à la distance d'un pied entre chaque plan, le second rang à la distance d'un pied & demi, de façon que les plants du second rang correspondent au milieu de l'intervalle qui est entre chaque plan du premier (ce qui forme un demi-quinconce) de laisser ensuite cinq pieds d'in tervalle pour un autre rang, & d'en mettre un quatriéme à la distance d'un pied & demi de celui ci.

Sans entrer dans l'examen des raisons de préférence qu'on doit donner à l'une ou à l'autre de ces méthodes, je me con enterai d'observer que la plantation à la Hollandoise devient sujette à beaucoup de difficultés, comme on le verra ci-après. Sa beauté n'est que momentanée, & disparoît à mesure que les plantes croissent; il faut quarante milliers de plants &  plus pour chaque journal; ensorte que je n'y trouve pas d'autre avantage que l'épargne du terrein, & je le crois très préjudiciable à la Garance, parce que les plants étant trop serrés, les racines n'ont pas une place suffisante pour s'étendre.

La méthode suivie en Flandres a l'inconvénient réel de priver le Cultivateur de la facilité de sarcler & de rechausser les plantes, à cause de la trop grande lar geur des planches, & de l'étroitesse des plates-bandes.

Il me paroît donc plus à propos de suivre la méthode indiquée par M. D hamel, parce qu'elle donne toutes les facilités possibles pour la plantation & pour la culture. Elle revient à peu-près à celle qui est pratiquée avec succès, dans plusieurs cantons de la Provence par le sieur Althen Persan: toute la différence n'est que dans les largeurs. Celui-ci divise son champ en parties inégales de quatre & de six pieds, alternativement; celles de quatre pieds sont destinées à recevoir la semence, les autres à former dans les commencemens, un petit canal d'arrosage des deux côtés des planches semées, si l'arrosage est pratiquable, & à fournir, dans la suite, de la terre pour les opérations ultérieures. Au reste, il faut avoir attention que les sillons ou les lignes, dans lesquelles on plante la Garance, aient leur direction du nord au midi.


Du Semis.

M.Althen fait semé?la graine de Garance en plein champ, mais il l'a cultivée dans des climats plus chauds qui sont moins sujets que ceux-ci aux variations du tems. Il semble même qu'il est plus prudent de semer la graine sur couches, & de transplanter ensuite les plants provenus du semis: on est plus sûr par ce moyen de la quantité de plantes qu'on doit avoir, parce que toutes les graines qu'on seme ne levent point. En les trans plantant, on les a toutes à la distance requise: il n'y a ni vuide ni confusion, les plantes profitent également, & la culture en est plus facile.

On seme la Garance au Printems dans les mois d'Avril & de Mai, de la maniere que les autres plantes destinées à être transplantées. Comme il est incertain que les plantes reprennent en les transplantant dans la même année, parce que la saison seroit trop avancée, lorsqu'ils seroient en état de l'être, on a coutume de ne le faire que l'année suivante; & comme il seroit dangereux d'arroser la Garance, il me paroît convenable de suivre la méthode de M. Tschifelli, de les semer sur des couches vîtrées, parce qu'au moyen de tela, on se procure des plants de bonne heure, & en état d'être transplantés avant les chaleurs. On peut en effet semer sur ces couches, vers le milieu de Février, de façon que les plants puissent être transplantés au commencement d'Avril, auquel tems on fait un nouveau semis, & les plants qui en proviennent sont en état d'être transplantés au commencement de Mai. Cette méthode est avantageuse pour avancer de garnir la plantation, en ce qu'on peut tirer deux fois des plants des mêmes couches.

Ces couches sont les mêmes que les Jardiniers forment pour avoir de bonne heure des légumes, & sont ainsi composées. On creuse un fossé de la profondeur d'un pied ou environ; on couvre dans le fond la terre de fumier, sur lequel on remet une quantité de terre ou de terreau, à une hauteur suffisante pour soutenir les plantes, qui étant échauffées par le fu mier, levent plutôt.

Le semis doit être fait clair, afin que les plantes ne s'étouffent pas, & aient, une place suffisante pour pousser leurs racines. Le terrein doit être engraissé de maniere que le fumier soit bien mêlé, afin que la semence ne soit pas brûlée: on doit, pour cette raison, préférer une terre qui aura été engraissée l'année précédente, & qui aura reçu quelques labours. Il sera aussi à propos, avant de semer la graine, de la bien frotter dans les mains, pour rompre la baie qui contient la semence, ce qui facilite la germination.

M. Althen est dans l'usage de préparer la graine avant de la semer, de la maniere qui suit: Pour chaque livre de graine, il prend un quarteron de Garance fraîche, qu'il pile dans un mortier, après l'avoir bien laveé il y ajoûte un demi-septier d'eau & deux onces d'eau-de-vie. Il jette cette composition sur la graine, de maniere qu'elle s'en imbibe l'espace de vingt-quatre heures, prenant soin de la remuer trois ou quatre fois pour prévenir la fermentation, Le lendemain il met cette même graine dans un chaudron d'eau qu'il a fait bouillir l'espace d'une heure, cinq ou six jours auparavant, & dans laquelle il a mis un panier de fiente de cheval. Il l'y laisse deux outrois jours, la remuant de tems en tems, pour empêcher qu'elle ne s'échauffe. Il faut auparavant avoir passé l'eau à travers un linge. Enfin, il étend sa graine sur le pavé, jusqu'à ce qu'elle ait assez perdu de son humidité pour être semée, & il la seme tout de suite. Il prétend avoir éprouvé que cette préparation empêchoit la graine de s'abâtardir, qu'elle la faisoit germer & lever en plus grande quantité, & produire des plantes sensiblement plus belles, dont les racines donnent une couleur plus vive que quand elle n'a as été ainsi préparée. Quant à moi, je n'imagine pas u'il puisse y avoir aucune raison de préférer cette préparation, à l'exclusion de toute autre, à moins qu'on ne suppose dans la fécule de la racine de Garance, une propriété reproductive, ce qui est difficile à croire. Je la regarde donc comme un usage pratiqué dans le Levant, qui peut être bon; mais je pense que la préparation proposée par M. Lesbros est tour aussi avantageuse. Elle consiste à faire infuser la graine dans une eau de fumier bien préparée avec de la chaux vive & de la lie de vin, dans laquelle on la laissera tremper douze ou quinze heures, pas davantage, & à la semer sitôt qu'elle est séche. Il pense, avec raison, que cela peut procurer une recolte plus abondante, & met la graine en état de mieux résister aux rigueurs de la saison: la chaux en outre, accélere la germination, & peut détruire un petit ver blanc qui est sujet à ronger le germe.

Si l'on croit pouvoir risquer de semer en pleine terre, on peut pour cet effet, se servir d'une machine tirée par un homme, laquelle forme en même-tems trois sillons d'un pouce de profondeur, & à la distance d'un pied l'un de l'autre, dans lesquels on met les graines à cinq ou six pouces d'éloignement, & recouvrir avec le rateau. En disposant ainsi le semis, & laissant des plates-bandes d'espace en espace, on pourroit éviter de transplanter.


De la Plantation.

Il y a trois choses à considérer dans la plantation; savoir, le tems auquel on plante, le sujet qu'on plante, & la forme qu'on veut donner à la plantation.

Le tems de planter la Garance, soit de plants provenus de graines, soit de rejettons, est le Printems, ou l'Automne, parce que si l'on plantoit pendant les chaleurs, les plantes reprendroient difficilement. Quelques-uns ont coutume d'arroser la plantation pendant la premiere année, ce qui pourroit se faire absolument dans le cas d'une grande sécheresse, non pas en faisant entrer l'eau dans les plates-bandes semées, ce qui seroit très - nuisible, mais en pratiquant un petit canal d'arrosage, à droite & à auche, dans les plates-bandes qu'on a laissees vuides. Du reste, cet arrosage devient inutile en tout autre tems que le commencement; car quoique la Garance se plaise dans un terrein humide, elle hait la trop grande humidité, & de même que les fruits sont moins bons dans les endroits trop humectés, le trop d'eau peut faire tort à la qualité de la racine de Garance, & ce peut être une des causes de la supériorité de plusieurs Garances fur celle de Zélande.

Le sujet qu'on plante, ce sont les plants provenus du semis, ou les rejettons produits par la plante principale, & qu'on en sépare dans le cours de la culture, ou lorsqu'on arrache les racines. Les premiers doivent être transplantés, lorsque quelque tems après que la plante a poussée, elle a eu le tems de jetter quelques racines: la maniere de détacher les rejettons est de suivre avec le pouce la plante principale jusqu'à ce qu'on les rencontre; on les sépare alors facilement à l'aide du pouce, ou avec la pointe d'une broche de fer.

La forme de la plantation dépend de la méthode qu'on aura choisie pour la préparation du terrein.

En Zélande, la plantation doit avoir la forme d'un quinconce, avec la distan ce de deux pouces environ d'un rang à l'autre, de maniere qu'il y a sept rangs de plants dans chaque planche. Pour exécuter plus facilement la plantation à la Hollandoise, on pourra prendre une ta blette de bois plus large d'un pouce ou deux que la planche de terre: on y adaptera, à une distance convenable, des chevilles de bois ferrées, & disposées en quinconce. Cette tablette se posera sur le terrein, & les chevilles traceront des trous, qu'on aggrandira ensuite avec un plantoir. On mettra dans ces trous les plants ou rejettons, en les inclinant un peu: le plantoir doit avoir un ou deux manches à la partie opposée, pour avoir l'aisance de soulever de terre le plant qu'on veut y mettre, ce qu'il faut faire avec attention, afin que les trous ne se remplissent pas. Il est même à propos d'y mettre, d'un côté, deux chevilles saillantes, qui puissent entrer dans les trous voisins, & servir à régler la plantation.

A mesure que les trous marqués par la tablette sont élargis par le plantoir, on y met les plants ou les rejettons, & il faut avoir attention d'étendre & d'arranger les racines en pointes, en les te nant entre les doigts, afin de les faire entrer plus facilement, sans qu'elles se replient: on appuie ensuite légerement la terre avec le plantoir contre ces racines, pour en faciliter la reprise.

En Flandres on forme à la bêche autant de petits sillons ou rigoles à un pied de distance l'un de l'autre, comme si l'on vouloit transplanter des porreaux ou des oignons. On arrange les plants dans ces sillons, & on les recouvre de terre.

En suivant la disposition de M. du Hamel ou de M. Althen, on forme un petit sillon dans la planche qui doit être semée: on y arrange les plants à trois pouces de distance l'un de l'autre, & on recouvre avec la terre qu'on creuse pour former un second sillon; les plants qu'on place dans ce second se recouvrent avec la terre du troisiéme, & ainsi de suite.

Si l'on veut employer la disposition de M. Tschifelli, on forme des petits sillons ou rigoles à une distance alternative de dix & de vingt pouces, & on recouvre les plants avec la terre même qu'on a tirée pour former les sillons.

Les principales attentions qu'on doit avoir en transplantant sont, 1°. De couper la pointe des rejettons, en supprimant toute la partie garnie de feuilles.

2°. De planter perpendiculairement, en inclinant néanmoins tant soit peu.

3°. D'étendre les racines dans leur di rection naturelle, plutôt en en-bas qu'au tre1ne1lt.

4°. Lorsqu'on a recouvert les plants il est nécessaire d'appuyer la terre contre les racines, afin d'en faciliter la reprise: on acheve ensuite de les recouvrir, ou de la terre tirée du sillon même, ou de celle qu'on tire pour en former un nouveau, ce qui revient au même. Si l'on veut recouvrir avec la terre du même fillon, cela s'exécute aisément avec un rateau à pointes de fer, & l'on se sert du dos pour appuyer la terre contre les racines. La disposition Hollandoise est la moins favorable à cette opération, parce qu'on ne peut pas appuyer la terre avec le plantoir aussi facilement qu'avec le dos du rateau: la plantation d'ailleurs est plus expéditive dans les autres dispositions.

5°. Il faut avoir soin de couper avec des ciseaux, ou un couteau, l'extrémité des racines, sur-tout si les rejettons ont été quelque tems hors de terre, parce qu'en coupant cette extrémité, qui peut être déjà desséchée, la reprise est plus facile & plus sûre.

Quant à la distance, M. du Hamel la propose de trois pouces d'un plant à l'autre; M. Tschifelli en laisse six; & cette distance paroît préférable, parce que les pieds de Garance ayant un plus grand espace de terrein, doivent produire de plus grosses racines, & en plus grande quantité.

Il est utile de former une pépiniere pour y mettre les plants ou les rejettons qui seront restés après la plantation faite, sur-tout ceux qui auront été mis à part comme douteux: on pourra les y disposer dans des sillons à trois ou quatre pouces de distance, & ils serviront à remplacer dans la plantation, ceux dont la reprise viendrqit à manquer.

Toutes les fois qu'on voudra faire une plantation de meres plantes; si, par exemple, on veut transplanter celles qui croissent naturellement dans la campagne, à dessein de les améliorer par la culture, on pourra suivre la méthode de M. du Hamel, de déterrer les pieds, en maniant délicatement les racines, & surtout les racines hôrisontales, qui rampent entre deux terres, nommées vulgairement trainasses; de les replanter avec la précaution d'étendre les racines de côté & d'autre, suivant leur direction naturelle, de les enterrer à un pouce environ de profondeur, & d'emonder les feuilles, en ne laissant que le tronc de la tige.

Il conviendra, dans ce cas, de laisser une plus grande distance d'un pied à l'autre, de façon que trois milliers suffiront par journal. Cette méthode a été sui vie avec succès par M. d'Ambournai, & est proposée dans l'Encyclopédie, où il est dit de planter les meres plantes à cinq pieds de distance.

Si l'on veut faire transporter les plants dans un endroit éloigné, il sera bon de les mettre dans un panier, comme M. Tschifelli le recommande, en mettant, lit par lit, de la paille ou du foin: on pourra ainsi les arroser, sans les tirer de ce panier, de peur qu'ils ne s'échauffent.


De la maniere de soigner la Plantation.

La maniere de soigner la plantation tend à procurer les moyens les plus efficaces pour entretenir efaire grossir & multiplier les racines. Le premier soin doit donc être de sarcler & arracher les mauvaises herbes: plus on répéte cette opération, plus on fournit aux racines une plus grande abondance de sucs nour riciers, & plus la plante prospere, parce qu'elle profite davantage des influences de l'air & du soleil.

Au second été, on pourra faire couper les tiges presque à rase terre, parce qu'elles se dessécheroient en pure perte pendant l'hiver; aulieu qu'en les fauchant, elles peuvent servir de fourage, sur-tout pour les vaches. Pour détruire les mauvaises herbes des plates-bandes, on peut se servir d'une petite charrue tirée par un homme, ou par un âne, & qui fert en même-tems à rechausser les plantes. Cette charrue est composée d'un morceau de fer, en pointe circulaire, de la figure d'une langue de boeuf, d'une roue sur le devant, & de deux oreillettes.

Comme on cultive en Europe deux especes de Garances; sçavoir, celle de Hollande & celle du Levant; & que les tiges de la derniere espece sont frêles, & ne peuvent se soutenir d'elles-mêmes, il est bon, si l'on veut faire mûrir sa graine, de la ramer comme les haricots. Il faut encore décharger les tiges des branches latérales, & ne laisser que la principale tige & quelques petites branches: en allégeant ainsi la plante, on procure l'accroissement des racines.

La diversité que j'ai observée cidessus, entre la plantation Hollandoise & les autres, ne consiste pas seulement dans la disposition du terrein & la façon de planter, mais principalement dans la culture même. En Hollande, on releve des deux côtés, les planches qu'on a plantées, exactement comme on feroit pour élever des plants d'artichaux, en prenant pour cet effet de la terre des plates bandes.

En Flandres, au lieu de rechausser les tiges, lorsqu'elles sont parvenues à la hauteur d'un pied, on les provigne, c'est-à-dire, qu'on les abaisse, & on les étend à terre sur le côté, en les couvrant avec la terre des plates-bandes: on laisse seulement à découvert les pointes de ces tiges à la hauteur d'un pied. On continue ainsi, de tems à autre, en entassant tige sur tige, jusqu'à la recolte; c'est ce qu'on appelle couchis, qui font à peuprès le même effet que les provins de la vigne.

Dans la méthode de M. du Hamel, on abaisse sur terre, & on couvre les tiges, de façon que le premier rang est étendu sur la plate-bande; le second dans la planche même vers le premier rang: on occupe de cette facon environ un pied de la plate-bande, & les nouveaux rejettons des tiges ainsi enterrés, peuvent encore s'enterrer de nouveau, envenant occuper un autre pied de la platebande.

Si l'on fait la plantation à la maniere de M. Tschifelli, on peut abaisser & couvrir les tiges dans un intervalle encore plus grand; sçavoir, dans l'espace de vingt pouces d'un rang à l'autre; c'est-à dire, le second vers le troisiéme, & il restera le petit espace de dix pouces libr pour la commodité de la culture.

On doit avoir attention, en provignant la Garance, de ne pas rompre ses branches, qui sont très-fragiles: c'est pourquoi il faut, en les abaissant, suivre leur direction, & faire cette opération, le soir ou le matin, parce que les tiges sont alors plus souples que dans la chaleur du soleil.

M. Althen recouvre ses plants, all mois de Septembre de la premiere année, de deux ou trois pieds de terre: il prend cette terre dans les plates-bandes qu'il avoit laissé vuides, ou dans lesquelles il avoit semé des légumes pour mettre ce terrein vuide à profit. Il augmente même alors la largeur des planches où sont les plantes, de deux pieds, qui se prennent également de droite & de gauche, sur celles qui sont vuides, ensorte que cellesci n'aient plus que quatre pieds de lar geur de six qu'elles avoient, & les plan ches en auront six au lieu de quatre.

La culture de Hollande, à cet égard, a l'avantage de procurer de plus grosses racines, mais il est bien balancé par celui que les autres présentent de fournir une plus grande quantité de tiges, & de favoriser la multiplication des racines que jettent de tous côtés les plantes ainsi enterrées. Quant à la maniere de les enterrer, celle de M. Althen ne différe que par rapport à l'espece de plante qu'il cultive, dont les tiges sont plus courtes: elle convient donc mieux à la Garance du Levant, & celle de M. Duhamel à la Garance commune ou à toute autre espece, dont les tiges seroient aussi hautes. J'observerai, en passant que la supériorité de la Garance du Levant sur la commune, ne vient peut-être que de ce que ses tiges sont plus tendres, & ont par conséquent plus de disposition à se transformer en racines succulentes: en ce cas, beaucoup de nos Rubiacées peuvent avoir le même avantage.


De la Recolte de la Graine.

Au mois de Septembre de la seconde année, c'est-à-dire dix-huit mois après qu'on a semé, les plantes de Garance donnent une grande quantité de graines, qu'il faut recueillir dans ce mois, ou au commencement du suivant, aussi-tôt qu'elle est mûre, c'est-à-dire, lorsqu'elle - est bien noire. Il y a deux manieres de faire cette recolte; l'une de cueillir la graine sur la plante, grain à grain, & en plusieurs tems, pour ne prendre que celles qui sont bien mûres, en attendant que les autres viennent à maturité. Cette méthode, quoique plus longue, donne une plus grande quantité de graines, & d'une meilleure qualité. L'autre de faire couper raz de terre les branches & les tiges des plantes, lorsque la plus grande partie de la graine est mûre; de les faire sécher, & d'en séparer ensuite la graine par le moyen le plus court & le moins dispendieux. On ne doit l'enfermer dans le grenier, que lorsqu'elle a été bien séchée au soleil.


De la Recolte des Racines.

On ne laisse en Flandre la Garance en terre que dix-huit mois. II est vrai qu'on eut dès-lors avoir des racines propres à être employées pour la Teinture; mais on n'en tire qu'une petite quantité, qui ne donne que le tiers du produit qu'on auroit retiré, si l'on avoit différé encore un an de faire cette recolte; ce qui est évidemment une perte considérable pour le Cultivateur. Le vraitems d'arracher les racines de Garance est donc aux mois de Septembre ou d'Octobre de la troisiéme année, c'est-à-dire, trente mois après la plantation: il ne seroit même que plus avantageux d'attendre au Printems suivant, & on seroit bien dédommagé de ce retard par l'augmentation de la quantité & de la qualité des racines. Au reste, com me il est à propos de renouveller la plantation, lorsqu'on recueille les racines, la maniere dont on les renouvellera, déci dera laquelle des deux saisons on doit préférer pour les arracher. Si la plantation se renouvelle de boutures, l'Autom ne est préférable, parce qu'elles ne re prendroient pas bien dans le tems de la séve si l'on veut la renouveller de graines, il faut préférer le Printems. Il résul te un avantage de faire la recolte au Printems, c'est de pouvoir faire sécher les racines au soleil: mais il faut s'y prendre de bonne heure, & avant que la plante ait pouslé des feuilles, sur-tout si on laisse les mêmes pieds en terre.

M. Althen emploie un très-bon moyen de renouveller la Garanciere, c'est de séparer, en arrachant les racines, les boutures nécessaires pour planter les plates-bandes vuides des deux côtés: on multiplie ainsi le produit du terrein, sans presque rien perdre de la recolte.

On doit arracher les racines par un tems sec, parce qu'elles sont alors moins chargées de terres: il ne faut pas néanmoins qu'il le soit trop, si l'on veut renouveller de boutures.

Le meilleur de tous les moyens proposés pour faire la recolte des racines, est celui de M. Tschifelli. Il consiste à ouvrir sur une des faces de la Garanciere, qui paroîtra la plus commode à cet effet, un fossé en forme de tranchée de longueur plus ou moins grande, suivant la quantité de monde qu'on voudra employer. Il doit avoir au moins quatre pieds de large, afin qu'il puisse y avoir deux rangs d'hommes dont les uns arrachent & ramassent les racines, & les autres tirent la terre en arriere. La tranchée ainsi ouverte devant la Garanciere, on en coupe le terrein avec la bêche: la terre ôtée avec la bêche, on la fait tomber dans un fossé, on casse les mottes, & avec une fourche ou trident dont les dents sont recourbées à angle droit, on sépare & on tire les racines pour les rassembler & les mettre dans des paniers. Les hommes ramenent ensuite la terre du côté du fossé; & lorsque la recolte est faite, on remet toute la terre à sa place.

Cette maniere de recolter les racines a l'avantage de procurer le mélange de la terre des planches déjà épuisée de sels avec celle des plates-bandes qui en a dû conserver une plus grande quantité. On peut même mêler alors avec ce terrein, un peu de fumier pour le mettre en état de produire de nouveau: mais il est nécessaire qu'il soit vieux & bien mêlé à la terre, de peur qu'il ne brûle les nouveaux plants. Quoique quelques personnes as surent que les Garancieres sont en état de donner deux ou trois recoltes de suite, & même plus, parce que la Garance n'épuise pas trop la terre, & que les labours qu'elle exige, disposent cette terre à produire des grains en abondance, les engrais ne peuvent que bien faire, parce qu'ils remplacent les sels épuisés.

Si dans le cours de la plantation on vouloit prendre dans les couches des rejettons pour transplanter, cela seroit fa cile en les coupant avec la bêche. C'est encore un motif de préférer la méthode de M. Duhamel ou celle de M. Tschifelli, parce qu'on peut couper les tiges couchées, sans risquer d'offenser la plante principale, vu qu'elles ont déjà pris racines. Cela fait même que les rejettons reprennent plus aisément, comme on le voit arriver aux provins des vignes & aux marcottes des œillets.


De la préparation des Racines.

Avant d'entrer en matiere sur la maniere de préparer la racine de Garance, il est nécessaire de fairemention des termes dont on se sert pour distinguer les différentes qualités de Garance préparée. On appelle Garance-grappe ou robée, celle de la premiere qualité; mirobée, celle de la seconde; & non robée, courte ou fmule, celle de la plus basse qualité.

On ne peut rien donner de certain sur ces différentes dénominations. Le terme de grappe, qui devoit proprement appar tenir à la Garance produite par les racines (comme venant du mot grappe ou raffle) parce que le pied de la Garance avec la racine, forme une espece de grappe, & afin de la distinguer par-là de celle que produisent les tiges devenues racines; ce terme, dis-je, est la plûpart du tems synonime à celui de pulvérisée, our exprimer la Garance en poudre, & l'on dit indifféremment, dans le même sens, grapper & pulvériser. M. Flachat & d'autres confondent la Garance-grappe & la robée, & appellent mirobée celle qui est fournie par les couchis. M. Helot ne fait aussi qu'une même sorte des deux remieres, puisqu'il dit qu'on les tire de la moëlle de la racine, & que la non robée contient, avec cette moëlle, l'é corce & les petites racines.

(a) Le parenchime est la partie rouge ou rougeâtre qui est entre la pellicule & le coeur, comme on l'expliquera ciapres.
L'epiderme est la petite pellicule extérieure qui environne la racine.

(b) Je ne parle pas de la Garance qu'on nomme Billon, qui est fournie par les petites racines & par l'épiderme, comme de peu de considération.
Comme il y a réellement une différence remarquable entre la poudre qui provient des racines naturelles, & celle qui provient des couchis, qui, quoique changés en racines, n'aquierent ja mais la même quantité de parenchime (a), que les véritables, & comme la mouture en rend aussi de différentes qualités, se lon la quantité plus ou moins grande qu'il y entre d'épiderme; il est à propos, pour plus grande clarté, de distinguer la Garance en grappe & non grappe, sçavoir, celles des meres racines & celles des couchis; de sous-diviser ensuite l'une & l'autre en trois especes; sçavoir, la robée produite par la derniere mouture, la mirobée par la seconde, & la non-robée par la premiere (b).

Comme la préparation consiste en trois opérations, j'en ferai trois articles séparés: le premier traitera du triage des ra eines; le second du desséchement; & le troisiéme de la mouture.


Du triage des Racines.

Le triage est la séparation des parties de la Garance arrachée; sçavoir, des tiges, des racines, & des rejettons propres à être transplantés.

Il faut séparer tout ce qu'on trouvera de tiges qui puissent tenir lieu de rejettons propres à replanter, en faisant attention d'y laisser attachés quelques brins de racines, pour en faciliter la reprise.

Il faut aussi séparer des racines produites par les couchis, les petites racines ou le nouveau chevelu, en mettant à part ces couchis pour en former la Garance non grappée; & le chevelu, s'il est déjà un peu fort, pour entrer dans le lot de la Garance-grappe. Les portions des racines formées des couchis, & qui se trouveront jaunes, ne sont bonnes à rien.

Les petites racines ne valent rien pour former la Garance de premiere & seconde qualité (c'est-à-dire la robée & la mi-robée); parce que, n'étant presque composées que d'épiderme, on n'en peut, tirer que fort peu de couleur: il en faut dire autant de celles qui sont trop grosses, parce qu'elles contiennent beaucoup de cœur ou de parties ligneuses: on doit donc réserver les unes & les autres pour la Garance non grappée. Les meilleures racines, sont celles qui ont la grosseur d'une plume à écrire, ou du petit doigt tout au plus; elles sont transparentes & rougeâtres: elles ont une odeur forte, & leur écorce est unie & adhérente au coeur ou partie ligneuse.

M. Lesbros rapporte plusieurs expériences desquelles il prétend pouvoir inférer que la partie ligneuse est la meilleu re de la Garance; mais ces raisonnemens ne paroissent pas satisfaisants: le contraire même résulte des expériences faites par M. Guerin de Corbeil, qui prouvent que le coeur ou la partie ligneuse ne donne presque pas de qouleur. Il y a donc lieu de croire que différence du résultat de ces expériences provient de tems plus ou moins long qu'on a em ployé au bouillissage, ou qu'il doit être attribué à d'autres circonstances. Il est très-certain que la matiere colorée réside dans le parenchime, puisqu'en examinant attentivement, avec un microscope, une racine de Garance bien conditionnée, on apper¸oit sous l'épiderme & dans le parenchime, des particules rouges qui certainement fournissent cette couleur, & l'on voit aussi d'autres parties d'une substance ligneuse, couléur de noisette, t qui est celle que les lessives & l'avivage emportent, lorsqu'on veut embellir la la couleur du Coton teint.


Du desséchement des Racines.

On fait sécher la Garance dans des étuves en Zélande & en Flandre. Les Hollandois sont si jaloux des leurs, qu'ils n'y laissent entrer personne que ceux qui en ont la direction. Celles dont on a jusqu'ici indiqué l'usage, sont les tourailles des Brasseurs, dans lesquelles on fait sécher l'orge pour la bierre: on en peut voir les desseins dans le Traité de M. Du hamel, & dans l'Encyclopédie.

Tout le monde néanmoins convient unanimement que le desséchement à l'étuve est sujet à plusieurs inconvéniens. Le premier vient de ce que la construction des étuves entraîne de grosses dépenses que peu de personnes sont en état de faire, c'est ce qui fait que ceux qui n'en ont pas vendent ordinairement leurs racines à ceux qui en ont. On m'a assuré qu'à Lille, le Propriétaire d'une étuve ou d'un moulin à Garance l'achete à mesure que les Cultivateurs lui en portent; & ces Cultivateurs ne possedent presque jamais de terre en propre, mais cultivent la Garance dans des champs qu'ils tiennent à loyer. En Zélande, au contraire, comme les Cultivateurs sont riches & Propriétaires de fonds de terre, ils ont chacun leur étuve & leur moulin, & envoient chaque semaine leur Garance au marché de Rotterdam, ou bien la mettent en magasin, pour la conserver jusqu'au tems qu'ils trouvent à la vendre un prix avantageux.

Le second inconvénient des étuves vient de ce que la fumée, qui se mêle à l'air chaud & traverse les racines, les charge de fuliginosités qui alterent probablement la partie colorée, accident qui paroît être une des causes de la différence qu'on trouve entre la Garance du Levant & celles de Flandre ou de Hollande.

(a) La fumée peut, sans doute, nuire à la beauté de la couleur; mais j'ai éprouvé qu'en employant toutes les précautions possibles pour la dessication, on ne peut jamais tirer de la Garance de Hollande, même cultivée en France, une aussi belle couleur que du Lizary. La véritable raison est que ce sont deux plantes différentes. Comme aussi la Garance du Languedoc & du Poitou, est la même plante que celle du Levant; elle donne le même ton de couleur.Le troisiéme inconvénient est la difficulté de graduer le feu. M. Duhamel, frappé de toutes ces difficultés, propose une autre espece d'étuve; mais comme il ne décide pas de sa réussite, & qu'il ne paroît pas que personne en ait encore adopté l'usage, il n'est pas possible de rien déterminer à cet égard. Tout ce qu'on peut assurer de certain, c'est qu'il est d'expérience que la qualité de la Garance est toujours meilleure lorsqu'elle est séchée sans feu. M. Hélot dit que le Lizary donne une couleur plus vive que la belle Garance-grappe de Zélande, par la raison qu'on la fait sécher à l'air & non dans des étuves; que la Garance du Languedoc & celle du Poitou, réussissent comme le Lizary, lorsqu'on les fait sécher à l'air (a). M. Duhamel convient aussi u'il est mieux de la faire sécher à l'ombre, & par la seule action du vent, & il ajoûte que si l'on arrache les racines au Printems on pourroit faire évaporer une partie de l'humidité par le soleil & le vent, ce qui diminueroit de beaucoup la dépense des étuves. C'est pour cette raison aussi que M. d'Ambournay est d'avis d'arracher seulement en Automne, ce dont on a besoin pour planter, & de remettre au Printems la recolte des racines qu'on destine à être employées en Teinture.

Je pense qu'il y a trop de sujettion à placer un thermométre dans une étuve, à l'effet de régler une chaleur de trente à trente-cinq degrés au-dessus de zéro, & qu'il vaut mieux employer plus de tems pour sécher la Garance à une chaleur modérée, que de précipiter le desséchement par un feu trop violent. On pourra néanmoins avoir attention aux degrés du thermométre, toutes les fois qu'on se servira d'un four à cuire le pain, comme le propose M. Duhamel, qui recommande que la chaleur n'excede pas quarante-cinq à cinquante degrés.

De quelque façon qu'on s'y prenne, comme les racines de Garance sont sujettes à s'échauffer facilement, il sera très à-propos, après les avoir tirées de terre, de les étendre dans un endroit exposé au soleil & à l'air, ou à l'ombre sous un hangard, & de les retourner de tems en tems: il faut sur-tout avoir la précaution de n'arracher, à la fois, que la quantité de racines qu'on pourra ainsi exposer & faire sécher, soit à l'ombre, soit à l'étuve. Quelques-uns ont l'habitude de les étendre au soleil sur un terrein voisin & au sortir de la Garanciere, afin qu'elles com mencent à sécher; mais j'y trouve l'incon vénient de ne pouvoir alors en séparer les rejettons qu'on veut transplanter, parce que se trouvant desséchées en parties, ils ne pourroient plus reprendre. Il vaut donc mieux trier les racines à l'ombre sitôt qu'elles sont arrachées, afin d'en séparer les rejets, & attendre que le triage soit fait pour faire sécher ces racines.

Plusieurs personnes ont aussi coutume de laver les racines dans une eau courante, afin de les nettoyer de la terre qui y reste attachée: mais le bon sens seul doit faire proscrire cet usage, parce que ce lavage emporte des particules colorées, qui sont faciles à appercevoir à la couleur rouge que l'eau contracte. Je ne blâme néanmoins pas le lavage, dans le cas où l'on voudroit employer la Garance fraîche; mais il est inutile quand on la fait sécher, parce que la terre s'en sépare aisément en frottant les racines dans un sac, ou les battant sur une claie.

L'indice que les racines sont assez séches, c'est lorsqu'elles se rompent net en les ployant: lorsqu'elles ne le sont pas, il faut les faire sécher de nouveau pour pouvoir les réduire en poudre. On a ob servé que les racines de Garance perdent communément, en séchant, sept huitié mes de leur poids.

L'emploi des racines fraîches est une découverte de M. d'Ambournay qui, ne pouvant faire sécher celles qu'il avoit fait arracher au mois d'Octobre, prit le parti de les employer fraîches, à raison de huit livres au lieu d'une livre en poudre: & en répétant ses expériences, il a trouvé que quatre livres de Garance fraîche équivaloit, pour le produit, à une livre de Garance séche & moulue. Il y a une grande économie & un grand avantage à employer ainsi les racines fraîches: car 1°. on épargne les frais de l'étuve & l'embarras de faire sécher; 2°. on évite le danger des mauvais effets qui peuvent résulter d'un feu mal réglé; 3°. enfin, on épargne la dépense du triage, de la cri blure, & c.

Lors donc qu'on veut les employer fraîches, après les avoir arrachées & triées, soit pour avoir les rejets, soit pour séparer les bonnes des mauvaises, on les lave dans une eau courante afin d'en ôter la terre, puis on les coupe grossierement avec une hache, & on les place sous une meule verticale pareille à celies dont on se sert pour les olives, jusqu'à ce qu'elles soient réduites en une espece de pâte.

Il résulte des épreuves qu'on a faites, que quatre ou quatre parties & demie de cette pâte valent autant qu'une partie de Garance-grappe en poudre, sur-tout si l'on fait attention de mettre moins d'eau dans la chaudiere qu'il en faudroit pour la derniere, à cause de l'humidité que cette pâte retient. L'avantage est considérable, puisqu'il faut sept ou huit livres de racines pour donner une livre de Garance en poudre, & qu'on épargne tant d'autres dépenses, sans compter en core que le Coton ainsi teint est bien plus facile à aviver. On m'objectera peut-être que, dans ce cas, on ne sépare pas l'épiderme & les petites racines: mais comme ces parties ont de la rougeur losqu'on les arrache, & que l'épiderme, en particulier, ne noircit qu'en séchant, elles ne peuvent nuire à la beauté de la Teinture, lorsqu'on emploie la Garance fraîche.


De la Mouture.

Avant d'expliquer les moyens de pulvériser ou grapper la Garance, il est bon d'observer qu'il y a trois parties constitutives de sa racine; sçavoir, le coeur ou la partie ligneuse qui est au centre, le parenchime contenant la matiere colorée, qui se trouve entre le coeur & la pellicule extérieure; enfin cette pellicule ou épiderme. Le parenchime est le nom qu'on donne à toute substance interne qui est dans l'espace des vaisseaux, & différe de la chair qui est entre les muscles: on le nomme ainsi, parce que les Anciens croyoient que cette substance étoit un sang extravasé & condensé. L'épiderme ou sur-peau, qui se noircit en séchant, est la partie dont on doit dépouiller la Garance, avec le plus grand soin, parce que plus elle contient de parties brunes lorsqu'elle est en poudre, plus elle est inférieure en qualité.

Le coeur ou la partie ligneuse ne contient réellement point de matiere colorée, si cejn'est celle qui peut exsuder du parenchime: de là vient que lorsque les racines sont plus grosses, la Garance de la derniere mouture a un oeil plutôt jaunâtre que rougeâtre, parce que la poudre produite par le coeur jaunit le rouge que fournit le parenchime; mais quand les racines sont plus petites, c'est-à-dire de la grosseur du doigt, la petite quantité du jaune, que le cœur fournit, ne fait que donner un plus bel œil au rouge, ce qui doit s'entendre seulement de la Garance en poudre, & non de sa Teinture: car plus celle-ci s'éloigne du jaune, plus elle est belle.

On doit donc avoir soin, lorsque les racines de Garance sont bien séches, de les mettre dans un sac de toile, & de les y bien remuer pour en détacher la terre & quelques portions de l'épiderme; on les met ensuite dans un crible percé de trous d'une grosseur médiocre, §que la terre & les portions de pellicule passent par ces trous, ainsi que les petites racines, & qu'il ne reste plus dans le crible que les racines d'une grosseur convenable. On pourra encore, lorsque le frottement du sac aura détaché la terre & l'épiderme, en faire la séparation, ainsi que des petites racines, par le moyen d'un van, ainsi que M. d'Ambournay le con seil, d'après la pratique de M. Peynel. On a donné à cette pellicule & à ces pe tites racines, le nom de Billon (ainsi qu'on appelle la basse monnoie) parce qu'elles fournissent la Garance de la plus basse qualité, qu'on ne peut employer que pour les Teintures sombres.

Quelques personnes ont coutume de mettre les racines sur une claie de bois, & de les y battre légerement pour en détacher la terre, & rompre l'épiderme: chacun peut suivre, à cet égard, le moyen qui lui paroîtra le plus commode.

Il y a deux manieres de pulvériser la Garance: l'une consiste à la mettre en pâte à l'aide d'une meule verticale telle que celles avec lesquelles on écrase le chenevi & les noix, pour en tirer de l'huile: l'autre consiste à la piler dans des moulins avec des pilons garnis de pointes de fer, pareils à ceux dont on se sert pour le tan. On peut voir la figure de la meule verticale dans l'Encyclopédie, & celle du moulin à tan dans l'ouvrage de M. Duhamel.

La meule verticale me paroît plus aisée & plus convenable, parce qu'on est à portée de voir en tout tems l'état de la racine. Si l'on veut s'en servir, on mettra la Garance dans le récipient où l'on met les noix pour les piler: on fera tourner la meule, qui commencera d'abord à rompre l'épiderme; lorsqu'elle le sera en partie, on mettra le tout dans un crible percé de petits trous, & fermé des deux côtés en forme de tambour. En criblant les racines, on en séparera facilement, ar ce moyen, une portion qui formera a Garance courte ou mule, qui pourra servir pour les couleurs tannées ou maur dorées, bien entendu lorsqu'on en aura séparé le billon.

On remettra ensuite la Garance sous la meule, pour achever de rompre entie rement l'épiderme; on la fera encore pas ser au crible, & il en sortira une Garance à peu-près de la même qualité que la premiere, c'est-à-dire, qu'elle sera encore mêlée d'une portion d'épiderme & des petites racines.

On recommencera de nouveau à mou dre, & le parenchyme commençant à se rompre, § une Garance d'une meilleure qualité. On continuera ainsi jusqu'à ce qu'elle soit totalement réduite en poudre: elle augmentera ainsi plus en plus de qualité, á proportion qu'elle passera sous la meule, excepté orsque les racines sont fort grosses, parce qu'en ce cas, elle tire davantage sur le jaune, vu qu'elle contient plus de parties ligneuses que de parenchyme.

On pratique les mêmes opérations pour les racines qui proviennent des cou chis, c'est-à-dire, des tiges qui sont transformées en racines, & qui produisent la Garance non grappée. Ses qualités varient de même selon que ces couchis contiennent plus ou moins de parties de l'épiderme ou ligneuses.

Lorsque la Garance est encore humide, elle s'attache à la meule à mesure, qu'elle s'écrase; il faut en ce cas, la faire sécher de nouveau.

La Garance entierement pulvérisée se met dans des tonneaux bien foulée, & son onctuosité naturelle fait qu'elle se pelotte, & forme des mottes, qui de viennent fort dures: il faut la conserver dans un lieu sec.

Les Teinturiers qui acheteront de la Garance en racines, pour leur seule consommation, pourront se servir d'un moulin ordinaire à moudre du tabac ou de deux de ces moulins posés oeil contre oeil, comme M. d'Ambournay l'a pratitiqué avec succès: ils suivront au surplus, les moyens indiqués ci-dessus, pour séparer & mettre à part les différentes qualités qu'on peut varier, augmenter ou diminuer à son gré.

J'ai tâché, dans cette instruction, de réunir les méthodes & les sentimens des Auteurs qui ont écrit sur cette matiere, en y joignant mes observations & mes réflexions: je finirai, pour ne rien omettre, par exposer les préparations que M. Althen juge à propos de donner aux racines de Garance, & qu'il croit nécessaires, afin qu'elles fournissent une belle Teinture: chacun y ajoûtera le dégré de confiance qu'il jugera à propos.

Ces préparations consistent à imbiber les racines, avant de les réduire en poudre, de quelqu'une des cinq liqueurs ou compositions suivantes.


Premiere Composition.

Environ quinze pintes d'eau commune pour chaque quintal de racines, dans la quelle on fera dissoudre sur le feu une livre d'alun.


Deuxiéme Composition.

Même quantité d'eau pour chaque quintal de racines, dans laquelle on fera fondre une livre de miel commun, sans le mettre sur le feu.


Troisiéme Composition.

Mème quantité d'eau, & dans la même proportion, dans laquelle on jettera deux livres de son.


Quatriéme Composition.

Deux pintes de vinaigre, sans aucun mélange d'eau, pour chaque quintal de Garance.


Cinquiéme Composition.

Quinze pintes d'eau commune par uintal de Garance, dans laquelle on fera bouillir pendant deux heures, deux livres de soude dont on se sert dans les Savonneries. Après l'avoir retiré du feu, on y jettera trois livres de fiente de mou ton, qu'on aura ramassée & fait sécher au mois de Mai: on remuera le tout de tems en tems, pendant trois ou quatre jours, après lesquels on laissera reposer cette composition jusqu'à ce que le marc soit tombé au fond.

Ces cinq compositions ne conviennent pas toutes également à toute sorte de Garance. Il y a, dit M. Althen, telle espece de racine, qui demande uniquement la premiere, ou quelqu'autre des cinq compositions, tandis que telle autre en exige une différente. Cela suppose qu'il y a différentes sortes de Garances, & cette différence provient de celle des terroirs où elle est cultivée. Dans certaines terres la Garance est douce, dans d'autres elle est salée; ailleurs elle est âpre, &c. Ce Cultivateur ajoûte qu'il n'y a que l'expérience qui puisse déterminer sur la préférence qu'on doit donner à l'une de ces cinq compositions pour l'espece de Garance qu'on recueille, & qu'il faudra essayer toutes les cinq afin de voir laquelle fournira la plus belle Teinture.

Quant à moi, je suis très persuadé nonseulement que ces préparations sont inutiles, mais même qu'elles sont préjudiciables. Toute personne au fait de la Teinture est instruite que tout sel ajoûté à une fécule colorée en altere la couleur, & détruit même sa fixité. C'est un principe général, dont on ne peut excepter que les fécules colorées qui n'exigent point d'alunage. Si l'on emploie la premiere composition, l'Alun formera, avec des particules colorées de la Garance, une matiere dure qui sera en pure perte pour la Teinture, parce qu'elle ne pourra plus entrer dans les pores du Coton: de plus, l'Alun rancit la couleur de la Garance, qui exige précisément tout le contraire. Il en faut dire autant du vinai gre & du son. Quant à la soude & à la fiente de mouton, on n'ignore pas qu'elles ont la propriété de roser la couleur de la Garance; mais il vaut bien mieux les em ployer sur la couleur déjà appliquée au Coton. Leur emploi sur les racines ne pourroit servir qu'à tromper le Marchand, en leur donnant une plus belle apparence, ainsi que le miel qui ne peut leur communiquer que de l'onctuosité. Il vaut donc beaucoup mieux s'en tenir à choisir un bon terrein pour la Garance, à la cultiver avec soin & à former, en la pulvérisant, des poudres de différentes qualités & de différens prix.

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